"Pour que chacun puisse s’épanouir
durablement dans son environnement"

Bail rural et pas-de-porte : une pratique agricole courante mais interdite !

« droit d’entrée », « chapeau », « dessous de table » ou même « arrière-fumure »…

Il est une pratique courante dans les Hauts-de-France, connue pour ses terres fertiles, aux termes de laquelle le preneur à bail doit s’acquitter du versement d’une somme, en plus des fermages ultérieurs.

Si le preneur potentiel ne s’acquitte pas de cette somme, la conclusion du bail rural à son profit lui échappera, au bénéfice d’un autre agriculteur. Cette pratique pénalise au passage lourdement les jeunes agriculteurs pour l’accès au foncier.

Cette « tradition » du monde agricole du Nord et du Pas-de-Calais fait pourtant l’objet d’une interdiction depuis… 1946.

La pratique du pas-de-porte est prohibée, hormis dans l’hypothèse de la conclusion d’un bail cessible par acte authentique, régi par les articles L418-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime.

Exiger le versement d’un pas-de-porte emporte des conséquences pénales (I) ainsi que des conséquences civiles (II).

  • I / La pratique du pas de porte constitue d’abord une infraction pénale

En application du premier alinéa de l’article L411-74 du code rural, la pratique du pas de porte est prohibée. Elle constitue une infraction pénalement réprimée par une peine d’emprisonnement de 2 ans et/ou d’une peine d’amende de 30.000 €.

Matériellement, le fait pour le propriétaire bailleur de subordonner le droit au bail rural au versement d’une somme d’argent, donc d’exiger le paiement d’un pas-de-porte, constitue un délit.

A ce titre, il a été jugé que le délit de l’article L411-74 précité est une infraction instantanée, consommée au moment où, à l’occasion d’un changement d’exploitant, un bailleur, un preneur ou un intermédiaire a, directement ou indirectement, obtenu une remise d’argent ou de valeurs non justifiée.[1]

Le délai de prescription de cette infraction est de 6 ans à compter de l’obtention par le bailleur du pas-de-porte.

Il est donc possible pour le preneur qui a versé un pas de porte de déposer plainte contre le bailleur dans ce délai de 6 ans, afin de déclencher des poursuites pénales à son encontre.

  • II / Une pratique interdite donnant lieu à répétition des sommes versées par le preneur

La prohibition de la pratique du pas-de-porte ouvre droit au preneur à l’exercice d’une action en répétition des sommes versées.

C’est ce que vise expressément la seconde partie de l’article L411-74 du code rural et de la pêche maritime :

« (…) Les sommes indûment perçues sont sujettes à répétition. Elles sont majorées d’un intérêt calculé à compter de leur versement et égal au taux pratiqué par la Caisse régionale de crédit agricole pour les prêts à moyen terme.

En cas de reprise de biens mobiliers à un prix ne correspondant pas à la valeur vénale de ceux-ci, l’action en répétition peut être exercée dès lors que la somme versée a excédé ladite valeur de plus de 10 %.

L’action en répétition exercée à l’encontre du bailleur demeure recevable pendant toute la durée du bail initial et des baux renouvelés qui lui font suite ainsi que, en cas d’exercice du droit de reprise, pendant un délai de dix-huit mois à compter de la date d’effet du congé. »

 Quelle est la finalité de l’action en répétition ?

L’action en répétition permet donc au preneur de récupérer la somme qu’il a versée au bailleur afin de pouvoir conclure le bail avec ce dernier.

 Dans quels délais s’exerce l’action en répétition ?

Il a été jugé que l’action en répétition peut être exercée pendant toute la durée du bail, que ce soit lors du bail initial ou des baux renouvelés[2].

A l’inverse, l’action en répétition n’est plus recevable lorsque le bail a été résilié[3] ou qu’il est arrivé à expiration[4].

En résumé, tant que l’agriculteur qui a versé le pas de porte bénéficie de la qualité de preneur, il peut exercer l’action en répétition à l’encontre du bailleur.

• L’homologation d’un protocole d’accord transactionnel fait-elle obstacle à l’exercice de l’action en répétition ?

Il peut arriver que lorsque le preneur exerce l’action en répétition, l’instance s’éteint par la signature d’un protocole d’accord transactionnel, aux termes duquel le preneur s’engage à se désister de son action.

En résumé, le preneur s’engage à ne pas maintenir sa demande tendant à récupérer la somme versée au bailleur au titre du pas de porte.

Et il peut aussi arriver que le preneur s’engage à ne plus exercer ultérieurement d’action tendant à la répétition du pas de porte.

L’établissement et la signature d’un tel protocole d’accord transactionnel peut donner lieu à homologation par la juridiction saisie afin de donner lui donner force exécutoire (ce qui donne la possibilité à chacune des parties de forcer l’autre à exécuter son engagement).

Toutefois, l’homologation d’un tel protocole d’accord transactionnel ne fait pas obstacle à ce que la partie qui s’estime lésée en conteste la validité, en saisissant le juge de l’exécution.[5]

En ce sens, la partie qui s’estime lésée peut contester la validité du protocole d’accord transactionnel afin d’en obtenir la nullité.

Il sera alors question de soulever des arguments pertinents afin d’obtenir la nullité du protocole d’accord transactionnel, comme par exemple l’existence de vices du consentement au moment de la signature.

Un autre argument de poids pourrait aussi être soulevé en l’absence de vices du consentement : celui tiré de l’illicéité du contenu du protocole.

En effet, l’article 1128 du code civil subordonne la validité d’un contrat à la licéité de son contenu.

Or, comme il a été présenté ci-avant (I), la pratique du pas de porte est prohibée et punie pénalement.

Il semble donc que le contrat par lequel le preneur renonce à exercer à toute action en répétition du pas de porte qu’il a versé présente un contenu illicite, entachant sa validité.

Attention : En application de l’article 2224 du code civil, l’action en contestation de la validité d’un protocole d’accord transactionnel, afin d’en obtenir la nullité, se prescrit par 5 ans.

→ Pour tout litige relatif à un bail rural, que vous soyez bailleur ou preneur, consultez votre Avocate


[1] Cass., crim., 9 juin 1976

[2] Cass., 3ème civ., 15 juin 2005, n° 04-10.740

[3] Cass., 3ème civ., 23 janvier 2007, n° 06-11.556

[4] Cass., 3ème civ., 27 novembre 1996, n° 94-16.680

[5] Cass., 2ème civ., 28 septembre 2017, n° 16-19.184

Article écrit par Me Chloé Schmidt-Sarels

Ces articles pourraient également vous intéresser

Voir tous les articles

Nous pouvons vous aider sur ces sujets, prenez rendez-vous :

Une question sur ce
domaine du droit ?